I / Le cadre légal :
L’article L.1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme suit :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
II / Éléments constitutifs du harcèlement moral :
L’analyse de cet article permet de dégager des critères nécessaires à la qualification des faits de harcèlement moral.
➢ Qui est concerné par ces articles ?
• La victime doit être un salarié de l’entreprise.
• L’auteur présumé peut être : l’employeur, un supérieur hiérarchique, un collègue, un subordonné ou encore un tiers extérieur à l’entreprise.
La chambre criminelle de la Cour de cassation reconnait qu’un supérieur hiérarchique peut être victime de harcèlement moral de la part de son subordonné. (Cour de cassation, 6 décembre 2011 n° 10-82.266).
Exception :
Le Code du travail ne reconnaît pas la qualité de victime de harcèlement à l’employeur.
Toutefois, cela n’exclut pas la possibilité pour ce dernier d’être victime de tels agissements, dans ce cas, il convient de se référer à la définition pénale du harcèlement, qui n’est pas abordée dans cet article.
➢ Le caractère répété des agissements.
La jurisprudence considère qu’un agissement est répété dès lors qu’il se produit au moins deux fois, quelle que soit la période séparant les faits.
➢ Des agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail.
Le terme « objet » signifie qu’il existe une intention de nuire, par exemple dans les cas d’une mise à l’écart volontaire d’un salarié, aussi appelée « mise au placard ».
Le législateur entend par le terme « effet » que l’intention de nuire n’est pas nécessaire : il suffit que les actes aient entraîné une dégradation des conditions de travail, même sans volonté de nuire, pour que le harcèlement moral soit reconnu.
S’agissant de la dégradation des conditions de travail, la jurisprudence précise par ailleurs que la simple possibilité d’une dégradation suffit à caractériser le harcèlement, sans que la dégradation ne soit forcément avérée.
La Cour de cassation a récemment estimé que le fait qu’un salarié ait été victime d’avertissements injustifiés, d’une charge de travail disproportionnée et de refus de congés payés sans apporter la preuve d’une dégradation de son état de santé ni de ses conditions de travail suffit à reconnaître le harcèlement moral – la caractérisation d’une dégradation effective n’étant pas nécessaire pour reconnaître le harcèlement moral (Cour de cassation, 11 mars 2025, n° 23-16.415).
➢ L’atteinte aux droits, à la dignité, à la santé ou à l’avenir professionnel.
Pour être caractérisés comme relevant d’un harcèlement moral, les faits doivent porter atteinte :
– Aux droits ou à la dignité du salarié ;
Le fait que des actes se passent devant des témoins permet d’accentuer l’humiliation et l’atteinte à la dignité.
– À sa santé physique ou mentale ;
Cette atteinte peut résulter par exemple du fait pour un employeur de ne pas adapter le poste de travail d’un salarié conformément aux préconisations du médecin du travail (Cour de Cassation, 7 janvier 2015, n° 13-17.602).
– Ou compromettre son avenir professionnel ;
C’est le cas par exemple lorsqu’un employeur ne fournit pas volontairement de travail à son salarié ou s’il le tient à l’écart de plusieurs réunions.
Dans un arrêt rendu le 21 janvier 2025 par la Cour de cassation, dans l’affaire dite « France Télécom », celle-ci a consacré la définition du « harcèlement moral institutionnel ».
D’après cette définition, le fait que les auteurs du harcèlement moral ne connaissent pas les victimes n’empêche pas la reconnaissance d’une situation de harcèlement.
En effet, une politique d’entreprise ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel, relève de la qualification de harcèlement moral (Cass. Crim. 21 janvier 2025, n° 22-87.145).
➢ Où et quand doivent se dérouler les faits caractérisant le harcèlement moral ?
Les faits doivent survenir dans un contexte professionnel ou à l’occasion du travail, y compris lorsque le contrat de travail est suspendu.
Les faits peuvent se dérouler dans des espaces publics ou privés dès lors que ces lieux sont liés à l’activité professionnelle (Convention OIT n°190 relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, adoptée le 21 juin 2019).
III/ Le rôle de l’employeur :
1. L’obligation de prévention
L’employeur est tenu d’une obligation générale de santé et de sécurité à l’encontre de ses salariés (article L.4121-1 et suivants du Code du travail).
Plus particulièrement, l’article L.1152-4 du Code du travail impose à l’employeur de prévenir les faits de harcèlement.
Il existe différents moyens pour l’employeur de prévenir ces faits, notamment :
✓ Inscrire les risques psychosociaux dans le Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP),
✓ En faire mention dans le règlement intérieur et sur les panneaux d’affichage de l’entreprise,
✓ Mettre en place des actions de d’information et de formation,
✓ Mettre en place une organisation et des moyens adaptés.
2. L’employeur doit faire cesser des faits pouvant caractériser le harcèlement
Le signalement de faits de harcèlement a pour conséquence d’obliger l’employeur, responsable de la santé et de la sécurité des travailleurs, à prendre des mesures concrètes afin de réfuter ou d’établir l’existence dudit harcèlement et, le cas échéant, de le faire cesser.
Cette action est fondamentale non seulement pour protéger les éventuelles victimes, mais également pour éviter les risques résultant d’une inaction de l’employeur qui peuvent devenir très significatifs, notamment en cas d’impact sur la santé de la victime.
Afin de respecter son obligation, il est recommandé à l’employeur de diligenter une enquête interne.
Le principe même de l’enquête harcèlement consiste à interroger un public ciblé dans le cadre d’entretiens individuels, au cours desquels un questionnaire neutre leur sera présenté, afin de déterminer s’il existe ou non une situation de harcèlement moral.
Le CSE, s’il existe, devra être associé à cette démarche, ainsi que le médecin du travail.
Si l’enquête conclut à l’absence de faits de harcèlement :
✓ Des actions seront probablement nécessaires pour favoriser le retour à un bon climat social,
✓ Il sera nécessaire de soumettre ces conclusions et les actions envisagées au CSE et
au médecin du travail,
✓ Une communication particulière à l’adresse de l’auteur du signalement et de la
personne initialement mise en cause pourrait également s’imposer.
Si en revanche des faits de harcèlement ou d’autres manquements étaient mis en évidence, des actions correctives concrètes devront être proposées, qui dépendront de la nature et de la gravité des faits, par exemple :
✓ Médiation ;
✓ Réorganisation ;
✓ Sanctions disciplinaires ;
✓ Formations.
IV/ La protection du salarié qui dénonce des faits :
Aucun salarié ne peut être sanctionné au motif qu’il a dénoncé des faits pouvant s’apparenter à du harcèlement moral, peu importe que cette situation le concerne ou concerne un de ses collègue, sous peine de nullité de la sanction prononcée par l’employeur.
Cette protection s’applique même si la situation de harcèlement n’est pas établie. La seule limite à cette protection est la mauvaise foi du salarié (hypothèse dans laquelle le salarié avait connaissance que la situation qu’il dénonçait était fausse).
V/ La charge de la preuve en cas de contentieux :
Lors d’un litige au cours duquel un salarié ferait état de faits de harcèlement moral, un aménagement de la charge de la preuve est prévu par l’article L.1154-1 du Code du travail.
A cet effet, si un salarié invoque une situation de harcèlement moral, celui-ci devra apporter des éléments permettant de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.
L’employeur devra de son côté justifier de l’absence de toute situation de harcèlement.