
La modification du contrat de travail nécessite en principe l’accord du salarié : en cas de refus, l’employeur doit continuer d’exécuter le contrat de travail en l’état, à moins de licencier le salarié s’il peut justifier d’un motif. Le refus de la modification ne peut en lui-même constituer un motif de licenciement, à l’exception du refus de la modification issue d’un accord de performance collective.
A l’inverse, le simple changement des conditions de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur ; sauf cas de discrimination ou d’abus de pouvoir, il s’impose au salarié à l’exception du salarié protégé.
Il est donc crucial pour l’employeur qui envisage de modifier les conditions d’exercice d’un emploi de déterminer si la modification envisagée constitue un simple changement des conditions de travail ou une véritable modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié.
Cependant, il n’existe pas de définition précise de la notion d’élément de nature contractuelle. Il s’agit principalement :
- Des principales caractéristiques de l’emploi ;
- Plus largement, des éléments déterminants dans le consentement du salarié lors de la conclusion du contrat ou dont la modification bouleverserait l’économie même du contrat de travail.
L’examen de la jurisprudence permet de cerner les contours de la notion de modification contractuelle appliquée aux principales caractéristiques du contrat.
1. L’emploi, la qualification et les attributions
✓ Modification du contrat de travail
Toute modification ayant pour effet de remettre en cause la nature de l’emploi, la qualification du salarié ou ses responsabilités constitue en principe une modification du contrat de travail. Tel est le cas :
- Du chargé de clientèle d’une société de courtage d’assurance dont le poste est vidé de sa substance à la suite d’une importante résiliation de contrats d’assurance de groupe (Cass. soc., 29 janv. 2014, n° 12-19.479, n° 210 FS – P + B) ;
- Du consultant privé d’une partie de ses responsabilités en se voyant retirer l’encadrement et le suivi d’une équipe d’ingénieurs (Cass. soc., 4 nov. 2015, n° 13-14.412) ;
- Du salarié directeur d’une piscine dont la délégation générale de signature est retirée (Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-19.001, n° 2173 FS – P + B).
✓ Absence de modification / simple changement des conditions de travail
La modification des tâches ou des missions dans le respect du statut et de la qualification du salarié, sans modification profonde de la fonction s’impose au salarié (Cass. soc., 29 nov. 2007, n° 06-43.979). N’est ainsi pas modifié le contrat de travail du conducteur receveur affecté à une ligne d’autobus à la suite du retrait de son habilitation à la conduite des tramways (Cass. ass. plén., 6 janv. 2012, n° 10-14.688, n° 603 P + B + R + I) ;
Certaines modifications conséquentes peuvent également s’imposer compte tenu de leur justification et de leur caractère temporaire : ainsi , l’affectation temporaire d’un chef de chantier, après information préalable et écrite, à des travaux de manœuvre en raison d’une baisse d’activité de l’entreprise n’est pas constitutive d’une modification du contrat de travail (Cass. soc., 12 févr. 1981, n° 79-41.140).
2. La durée du travail
✓ Modification du contrat de travail
La durée du travail, telle que mentionnée au contrat de travail, constitue, en principe, un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié (Cass. soc., 20 oct. 1998) ;
✓ Absence de modification / simple changement des conditions de travail
- La mise en place d’un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine par accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail (code du travail, art. L.3121-43) ;
- De même, ne constitue pas en principe une modification du contrat de travail l’aménagement du travail par décision unilatérale de l’employeur sur une période pouvant aller jusqu’à 4 semaines dans les entreprises de 50 salariés et plus et jusqu’à 9 semaines dans les entreprises de moins de 50 salariés (Cass. soc., 11 mai 2016, n° 15-10.0 ;25, n° 936 FS – P + B) ;
- La simple réduction de la durée de travail à temps plein dans l’entreprise par voie d’accord collectif ne constitue pas, à elle seule, une modification du contrat de travail (Cass. soc., 23 nov. 2011, n° 10-15.175). Attention : il en irait différemment pour unee modification affectant d’autres caractéristiques du contrat, en premier lieu la rémunération ;
- Le fait pour l’employeur de demander au salarié d’effectuer des heures supplémentaires ne constitue pas une modification du contrat de travail. A l’inverse, sauf engagement de l’employeur ou abus de direction, la diminution du nombre d’heures supplémentaires n’entraîne pas en principe de modification du contrat du travail (Cass. soc., 10 oct. 2012, n° 11-10.455).
3. Les horaires de travail
✓ Principe : la modification de la répartition des horaires n’est pas une modification du contrat de travail
Le changement d’horaire consistant dans une nouvelle répartition de l’horaire au sein de la journée, alors que la durée du travail et la rémunération restent identiques, constitue un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction du chef d’entreprise et non une modification du contrat de travail (Cass. soc., 22 févr. 2000, n° 97-44.339).
Ainsi, par exemple, à défaut de clause contractuelle excluant le travail du samedi, l’employeur, en changeant l’horaire de travail et en demandant aux salariés de travailler le samedi matin, jour ouvrable, au lieu du lundi matin, fait usage de son pouvoir de direction (Cass. soc., 27 juin 2001, n° 99-42.462, n° 3085 F – P).
✓ Les exceptions constitutives d’une modification contractuelle
Plusieurs cas de figure peuvent conduire à analyser le changement d’horaire en une modification du contrat de travail. Tel est le cas :
- Lorsque la modification d’horaire entraîne une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou au droit de repos (Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-14.702, n° 2208 FS – P + B) ;
- Lorsque la modification fait obstacle à l’exercice d’un mandat électif extérieur (Cass. soc., 2 avr. 2014, n° 13-11.060, n° 687 FS – P + B) ;
- Lorsque la modification entraîne un bouleversement très important dans l’organisation du travail : passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit (Cass. soc., 25 juin 2014, n° 13-16.392), passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour (Cass. soc., 13 juill. 2005, n° 03-44.866), mise en place du travail le dimanche (Cass. soc., 5 juin 2013, n° 12-12.953), passage d’un horaire continu à un horaire discontinu ( Cass. soc., 23 sept. 2014, n° 13-16.257), passage d’un horaire fixe à un horaire variant chaque semaine selon un cycle (Cass. soc., 5 juill. 2023, n° 22-12.994), passage d’une semaine de 4 jours à une semaine de 5 jours (Cass. soc., 23 janv. 2001, n° 98-44.843, n° 252 P).
4. La rémunération
La rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que l’employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié (Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175, n° 1112 FS – P + B).
En conséquence, toute modification directe (modification du montant ou du mode de calcul prévu par le contrat de travail) ou indirecte (résultant par exemple d’une modification des fonctions ou de la durée du travail) est subordonnée à l’accord du salarié.
Ce principe s’applique tant à la rémunération en espèces qu’à la rémunération en nature.
5. Le lieu de travail
La Cour de cassation a élaboré la notion de « secteur géographique » au sein duquel s’exprime le pouvoir de direction de l’employeur.
Ainsi et selon la jurisprudence, au sein d’un même secteur géographique, le changement du lieu de travail constitue en principe un simple changement des conditions de travail.
En revanche, en l’absence de clause de mobilité, toute modification du lieu de travail en un nouveau secteur géographique exigera l’accord du salarié.
La notion de secteur géographique est appréciée par la jurisprudence en fonction d’un faisceau d’indices tels que l’unicité du bassin d’emploi, la distance entre l’ancien et le nouveau lieu de travail, les moyens de transport disponibles, le temps de trajet, mais aussi la fatigue et les frais financiers générés par l’usage du véhicule personnel (Cass. soc. 24-1-2024 n° 22-19.752 F-D).
Ainsi, par exemple, la mutation en un nouveau lieu de travail situé à 12 kilomètres de l’ancien, desservi par les transports collectifs, s’opère au sein du même secteur géographique et constitue donc un simple changement des conditions de travail (Cass. soc. 28-5-2015 n° 14-13.166 F-D). Il en va de même d’une nouvelle affectation distante de 43 km et accessible par le train et le bus (Cass. soc. 16-11-2010 n° 09-42.337 F-D).
En revanche, ne relève pas d’un même secteur géographique la nouvelle affectation, distante de trente kilomètres du précédent lieu de travail et reliée à celui-ci par une route sur laquelle la circulation est parfois difficile en hiver (Cass. soc. 12 juin 2014 n° 13-15.139).
