
Par sa décision du 17 mai 2024 (n° 2024-1089 QPC), le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la procédure applicable aux infractions de presse : l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, dans sa version issue de la loi du 23 mars 2019, n’était pas conforme à la Constitution en ce qu’il ne prévoyait pas l’information de la personne mise en cause sur son droit de se taire.
Une procédure simplifiée… mais incomplète
L’article 51-1 permettait au juge d’instruction, pour les seuls délits d’injure ou de diffamation, d’adresser à la personne visée par la procédure une lettre recommandée l’informant de son intention de la mettre en examen. Cette lettre précisait les faits reprochés, leur qualification juridique, et offrait à la personne la possibilité de formuler des observations écrites dans un délai d’un mois. Le juge pouvait également, par le même courrier, interroger la personne au moyen de questions écrites.
Si cette procédure visait à alléger la charge procédurale, elle omettait cependant un principe fondamental : celui du droit de se taire, corollaire essentiel de la présomption d’innocence. Cette lacune a conduit à la déclaration d’inconstitutionnalité.
La censure du Conseil constitutionnel et sa portée
Dans sa décision du 17 mai 2024, le Conseil a estimé que le silence du texte sur le droit de se taire portait atteinte aux droits de la défense. Il a reporté l’abrogation au 1er juin 2025 afin de permettre au législateur de revoir sa copie, et a assorti sa décision d’une réserve transitoire :
« afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, le juge d’instruction, lorsqu’il informe la personne de son intention de la mettre en examen en application de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, doit lui notifier son droit de se taire. »
Le Conseil ouvrait ainsi la voie à un raisonnement fondé sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, applicable immédiatement.
La période transitoire sous l’oeil de la Cour de cassation
La chambre criminelle a eu l’occasion de se prononcer dans une décision du 7 janvier 2025 (n° 23-85.615). Elle rappelle, en s’appuyant sur l’article 6 de la CEDH et l’article préliminaire du Code de procédure pénale, que le droit au silence s’impose au juge d’instruction dès lors qu’il interroge par écrit une personne qu’il envisage de mettre en examen.
Dans cette affaire, deux journalistes avaient été informés de la procédure par écrit et avaient répondu aux questions du juge, reconnaissant leur qualité respective et certains éléments de fait. Faute de notification de leur droit de se taire, la chambre de l’instruction a annulé la procédure. Ce raisonnement a été validé par la Cour de cassation.
Une réforme manquée ?
Au 1er juin 2025, faute d’intervention du législateur, les dispositions censurées ont été purement et simplement abrogées. Le texte se trouve désormais amputé de cette possibilité de mise en examen par écrit.
Or, une intervention législative rapide et ciblée, prévoyant notamment l’ajout de la notification du droit au silence dans la lettre adressée par le juge, aurait permis de sauver cette procédure simplifiée. Ce choix aurait favorisé la rapidité tout en assurant la conformité aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.
En s’abstenant, le législateur a ainsi renoncé à un outil procédural efficace, mais critiquable dans sa version initiale.